Je ne crois pas en la capacité des partis politiques à construire la démocratie

Ce sujet n’est pas pour plaire à tout le monde. Mais pourquoi continuer à entretenir le silence sur une question qui semble au cœur même de l’imbroglio politique togolais du moment ? Je ne veux pas parler de la compétence des leaders des partis politiques togolais. Je ne suis pas intéressé non plus par leur bilan politique, quoique insignifiant. Le problème est que les partis politiques ont réussi à annihiler la capacité du peuple togolais à s’organiser (autrement) pour arracher la démocratie. Je veux simplement donner deux raisons qui vont vous convaincre. La première est qu’au lendemain du soulèvement populaire d’octobre 1990, nous avions réussi à bousculer sérieusement la dictature en place grâce aux mouvements sociaux. S’il y a eu une conférence nationale, c’est parce que le peuple dans ses diverses composantes l’avait exigée et en avait payé le prix. Par contre la gestion calamiteuse de ces assises et de la transition qui a suivi a été du ressort exclusif des partis. Il en était né des dizaines… Le deuxième exemple se rapporte à la gestion de la crise née de la mort d’Eyadema et de la mobilisation populaire pour le retour à la légalité constitutionnelle. Le Collectif de l’opposition a monopolisé cette mobilisation, traitant la société civile et la diaspora comme une quantité négligeable. Mais au fond, s’il y a eu une mobilisation de cette ampleur, ce n’était pas à l’actif des machines des partis. C’était le travail à la fois informel et structuré des organisations de base en relation avec une partie de la société civile organisée.

Les partis politiques togolais sont prêts à se saborder. Le dialogue est devenu la nouvelle aubaine devant laquelle les partis, même ceux qui paraissaient les plus crédibles sont prêts à se compromettre. Ils n’ont pas tort du reste. A voir les choses de prêt, ils n’ont plus d’autre alternative. Aussi curieux que cela puisse paraître, ces formations politiques ont été créées pour fonctionner dans un système politique pluraliste ouvert, transparent et démocratique ; ce qui n’est pas le cas du Togo. A plusieurs reprises, le peuple dupé a voulu concrétiser sa légitime aspiration à la liberté par le biais des urnes. Il a échoué. Alors on est en droit de se demander comment les partis pourront-ils obtenir par le dialogue ce qu’ils n’ont su avoir par les élections, leur unique mode d’expression en matière de conquête du pouvoir. A moins que la démocratie ne soit pas leur revendication, je crois sincèrement que les partis politiques et leurs dirigeants doivent démissionner de ce combat.

Les enjeux de la démocratisation du Togo restent constants. Tout comme il a été démontré que les élections truquées ne résoudront pas la crise politique, il faut admettre que les associations politiques ne sont pas habilitées à apporter aux Togolais la démocratie qu’ils méritent. Aucun accord politique ne peut valablement remettre en cause les soubassements du régime contre lequel s’établira le nouvel ordre politique. Car la démocratisation au Togo s’entend inévitablement d’une remise en cause systématique des hommes et de leurs pratiques.

Il faut repartir sur les bases des revendications citoyennes qui fondent le mouvement démocratique togolais. Les forces citoyennes du pays et de la diaspora doivent pouvoir imaginer et porter le projet de libération qui fera lever chez nous le soleil du renouveau. Si un tel courant arrive à triompher au sein de nos différents groupes de réflexion, il est sûr que les partis réellement démocratiques – du point de vue de l’engagement – se rallieront à la dynamique. Cette force, nous la puiserons dans la société civile et au sein de la diaspora. Elle ne peut opérer que si les Togolais se départissent de cet ego flagorneur qui a toujours annihilé nos initiatives. C’est-à-dire que ni Dany ni Abalo n’auront le droit, quelle que soit la pertinence de leur position ou de leurs idées, de revendiquer quelque privilège qui ne leur est attribué et reconnu au regard des règles qui gouvernent l’ensemble. En terme clair, nos actions tendent à devenir illisibles et inefficaces parce que nous sommes trop pressés d’être reconnus leaders. Il y a trop peu de citoyens engagés qui sont dépourvus de projet innovant dont la réalisation va par delà leur personne. Je suis personnellement perdu quand je vois tant de « libérateurs du Togo » dont on ne voit guère le sens ni la portée de l’action.

En contournant la barrière des partis, il est possible de remodeler notre lutte de libération, avec plus de chance de succès.

Dany Ayida

7 thoughts on “Je ne crois pas en la capacité des partis politiques à construire la démocratie

  1. Merci Monsieur Ayida.
    Votre idée sur la participation des partis politiques est peut-être vraie quelque part. Mais je ne vois pas comment vous penser construire votre démocratie sans les partis politiques. A moins de me tromper, c’est la constitution de notre pays qui donne droit aux partis et à eux seuls d’animer la vie politique du pays.
    Je comprends que vous soyez déçus par les partis à cause de leur comportement. Mais est-ce pour autant qu’il faut les chasser de la scène politique?

    Jean

  2. La question n’est pas là. Je ne crois pas que Dany Ayida réfute la nécessité des partis politiques dans notre système constitutionnel. Il essaie de démontrer dans son article que le Togo n’est pas encore en démocratie. Et pour lui l’enjeu pour le Togo aujourd’hui c’est de construire la démocratie. Or les partis se mettent au premier rang de ce combat en empêchant d’autres mouvements politiques d’émerger et d’agir.

    Kossi A.

  3. Merci Kossi et Jean.
    Pour moi il est évident que les partis politiques sont les animateurs de droit de la vie politique. En 1992, notre peuple s’est doté d’une Loi fondamentale qui instaure une démocratie à multipartisme intégral. Il est d’ailleurs normal que quiconque se sent une vocation politique crée un parti; surtout si ses idées et le projet de société qu’il veut proposer ne sont pas pris en compte déjà dans une formation où il pourrait se faire valoir.
    Ce que j’essaie de faire comprendre, c’est que notre peuple dans son cheminement politique a besoin de voir clair dans les options que prennent tous ceux qui revendiquent de lutter pour la démocratie et le changement. Une très grande partie de la population de notre pays ne comprend plus rien de ce que veulent ceux qui jusqu’à maintenant portent l’idéal démocratique. Les élections désastreuses d’Avril 2005 ont donné le coup de grâce de la politique qui consiste à se servir de l’expression démocratique populaire – considération a priori-pour conquérir un espace politique libéral, viable a posteriori.
    L’opposition politique telle qu’elle est maintenant n’incarne plus les aspirations de notre peuple pour le changement politique. La preuve, une troisième, en est le sort des réfugiés qui souffrent le martyr au Bénin et dont aucun parti politique ne se préoccupe. Mais ces réfugiés,leur crime fut d’avoir suivi ces partis et d’avoir cru que les élections étaient le moyen par lequel la démocratie naitrait au Togo.

    Je propose ensuite que les forces démocratiques qui s’expriment (de mon point de vue) au sein des organisations citoyennes du pays et de la diaspora prennent le devant de la lutte en réorganisant le mouvement démocratique national. Les options de lutte doivent aussi changer. Voilà le fond de ma pensée.
    Merci et bonne journée.
    Dany

  4. Je comprends ce que vous voulez dire. Mais je ne vois vraiment pas par quel moyen notre peuple peut se libérer si ce n’est par le jeu des partis politiques. Vous parlez de la “construction de la démocratie” comme s’il s’agissait d’un travail qui devrait se faire en dehors du jeu politique traditionnel. Voyez le cas du Bénin qui poursuit sur la voie de la démocratie. Une alternance vient d’avoir lieu à côté de nous. Simplement parce que les Béninois ont su être patients. Ils se sont parlés et se sont compris depuis la conférence nationale. Je crois que c’est le radicalisme qui est la source de tous nos maux au Togo.

    Jean

  5. Cher Kossi je vois où vous voulez en venir. Le Bénin dont vous parlez n’a pas avec le Togo tant de similitudes que vous croyez. Le régime au Togo est un régime clanique et militaire. Le changement s’est produit au Bénin depuis que Kérékou pressé par son peuple a cédé. Il n’en avait pas le choix. Au Togo, Eyadema a conservé le pouvoir malgré le rejet populaire dont il faisait l’objet. Il a marché sur les cadavres de milliers de nos concitoyens.
    Revenons au problème posé par Dany. Il dit que les partis ne sont pas le MOYEN approprié pour combattre la dictature. Il affirme aussi que le Togo n’étant pas encore en démocratie, les partis se font d’illusion en croyant qu’ils peuvent conquérir le pouvoir par les élections. La conclusion qu’il tire et qui peut être nuancée, c’est que le mouvement démocratique soit réorganisé de fond en comble.
    J’adhère complètement à cette vision des choses. Pas seulement parce que je connais Dany mais parce que cette opinion résoud le problème du blocage actuel. Le dialogue n’est pas une solution et l’attentisme ne fait que renforcer les usurpateurs.

    Merci
    Kossi A.

  6. Chers amis,
    Je ne m’érige pas en adversaire résolu des partis politiques; loin de là. Je suis sûr qu’un jour je militerai dans un parti politique dans notre pays. Je suis content de n’avoir pas encore choisi ce moyen d’expression pour exercer ma citoyenneté. J’ai beaucoup d’amis dans les partis poltiques de l’opposition togolaise. Nous échangeons souvent et ils sont d’avis avec moi que ce ne sont pas ces clubs d’amis qui sauveront notre pays. Ces dernières années, j’ai été amené à intervenir dans le cadre de mon travail dans d’autres systèmes de transition démocratique en Afrique. Notre classe politique n’est pas la plus médiocre ou la plus faible. Le problème qui fait la singularité du Togo (et ma honte à moi) est que notre pays n’a rien de démocratique. Le RPT et son armée sont notre problème. Nous avons un régime rétrograde qui n’a aucun respect pour la vie des citoyens. La seule alternative que nous ayons est d’instaurer la démocratie dans notre pays. Qu’on ne nous endorme donc pas avec de fausses solutions. Par delà les partis politiques qui prêtent le flanc à cette entourloupette de Faure et sa famille, c’est l’Union Européenne, la Communauté Sant’Egidio, le Burkina Faso, la France et autres qui entretiennent le flou. Nous devons sortir de la logique de la compromission perpétuelle, payer le prix de notre libération et en finir avec le statu quo. Ce ne sont pas que des paroles. Je suis convaincu que nous en sommes capables, pour peu qu’on veuille y croire et s’y engager sans calcul personnel.
    Telle est ma position que partagent heureusement beaucoup de démocrates, Togolais et non Togolais.

    Merci

  7. Je fais suivre ici cette réaction que j’ai faite dans un débat suscité par mon article d’hier dans le forum “Alternative Togo”.

    Bonjour à tous.

    Le débat suscité par mon articile d’hier prouve l’intérêt que beaucoup de concitoyens portent encore à la nécessité de réorganiser le mouvement national de lutte pour la démocratie dans notre pays. Ayant lu avec intérêt les réactions ici comme sur mon blog, j’aimerais apporter deux éclaircissements. Ma démarche consiste uniquement à démontrer le sens de mes propos précédents que j’assume entièrement. Je conviens avec Claver que les discussions pratiques sur les projets et leur processus d’implémentation ne sont pas à faire dans ce cadre.

    1- De l’exigence de démission des partis politiques

    Je concède qu’il s’agit d’un “ordre” dont la pertinence ne peut s’entendre que dans la mesure où les partis en question adhèrent à l’obligation de rendre compte et donc de la démocratie. Au fait, j’affirme que je ne suis pas intéressé par les questions de fonctionnement interne de ces formations. Mais ce qui me donne le droit d’avancer cette invective, c’est la gestion collective que nous avons eu à faire de la lutte de changement. C’est aussi la reconnaissance de l’existence dans ces partis d’hommes et de femmes qui adhèrent à la nécessité de la redirection (stratégique et organique) du mouvement démocratique. Nous avons été très proches de ces gens, nous les avions encouragés. Nous faisions cause commune. Je revendique donc que ceux qui pensent comme moi que les partis sont inaptes à conquérir la démocratie abdiquent d’eux-mêmes et s’allient avec la nouvelle dynamique alternative. Les partis ne sont pas une famille à part. La presse, la société civile, les syndicats progressistes et une partie de la diaspora sont tout aussi comptables de l’échec de l’OPPOSITION que tous ont formée. J’indexe les partis parce que c’est eux qui ont assuré le leadership du mouvement.

    2- De l’opportunité du débat sur les partis

    C’est maintenant plus que jamais qu’il faut faire ce débat et le vider; cher Michel. Les partis de l’opposition ont une force extraodinaire d’inhibition des forces populaires. J’ai découvert dans la diaspora togolaise d’Europe et des Amériques des concitoyens idéologiquement limités à cause de leur vision partisane de la lutte. Je sais aussi depuis longtemps que les partis pour être à la pointe de la lutte depuis 1991 se sont infiltrés dans toutes les méandres du mouvement démocratique, y compris dans les options politiques qui ne sont pas du ressort des partis. On est hélas à cette étape de développement de notre politique où rien n’est logiquement possible par delà le mécanisme créé et entretenu par un groupe de 4 ou 5 partis dont les orientations sont tout sauf uniformes. Les partis politiques innondent la diaspora d’idées fausses ou parcelaires; ils contaminent la société civile par des échafaudages veules et déroutants.

    Pour que les Forces citoyennes puissent être une véritable alternative politique pour notre peuple, il faut crever cet abcès, remuer le marécage pour y sortir tout ce qui s’y cache. Il y a sur notre forum des militants de premier ordre de partis politiques. Ils doivent eux aussi s’engager dans la redynamisation du mouvement démocratique. L’appel au dialogue des Gnqssingbé est une tentation diabolique qui retardera la libération de la patrie. Le leader d’un parti d’opposition que je respecte bien m’a confié à la suite de la présidentielle de 2003 truquée par Eyadema qu’il serait prêt à fondre son parti dans un mouvement collectif de lutte. Mon propos ne fait qu’encourager telle initiative. Cela va de la dépersonnalisation de la lutte pour le changement “que nous devons pouvoir distinguer de la conquête du pouvoir”, selon un camarade qui m’a envoyé sa réaction directement.

    Merci

    Dany

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