Huit observations préliminaires sur le processus de la communalisation au Togo

Le Togo vient de faire un pas vers la réorganisation de l’administration territoire, dans le cadre du processus de décentralisation entamé depuis quelques années. L’Assemblée national a adopté le 23 Juin 2017 une loi qui consacre le découpage du pays en 116 communes. Nous avons suivi le processus de l’ambitieuse « communalisation intégrale » du Togo qui devrait permettre au pays de rattraper le retard qu’il a accusé dans la sous-région en ce qui concerne la question de la décentralisation et de la gouvernance locale. Quelques remarques s’imposent de l’analyse des éléments en notre possession, en attendant de décortiquer la nouvelle loi dans son ensemble.

  1. L’État togolais a voulu régler par une seule loi à la fois la question de l’aménagement du territoire et celle de la gestion locale. L’approche adoptée a été opérationnalisée dans un contexte de gouvernance démocratique déficitaire. Du coup, les exigences de viabilité et de faisabilité des nouvelles entités territoriales décentralisées et de développement ont été négligées au profit de celles qui favorisent une trop forte tutelle du pouvoir centrale. Cet amalgame n’est pas fortuit, puisque le gouvernement initiateur du projet de loi a eu le temps de s’entourer de toute l’expertise disponible et aussi d’examiner les expériences en cours sur le continent et ailleurs.
  2. Par-delà des enjeux politiques évidents, certaines localités érigées en collectivités locales risquent de n’être autre chose que de petits monstres capricieux dont le gouvernement devra assurer la soutenabilité et la survie. La subsidiarité qui va systématiquement s’opérer maintiendrait ces communes dans un statut d’entités déconcentrées, surtout au regard de leur capacité contributive évidemment faible.
  3. Compte tenu du niveau bas du développement économique du pays, il eût été sage de distinguer dans la loi des communes urbaines et des communes rurales. Ceci aurait eu l’avantage de déterminer d’office le degré et les matières à transférer par l’Etat à chaque catégorie de collectivité, et les autres conséquences en termes de fiscalité et de finances publiques.
  4. Quand on observe la configuration de quelques collectivités territoriales, on pourrait déduire globalement ceci : au lieu garantir le développement local et la croissance économique, et ainsi décharger (en partie) le gouvernement de la prise en charge des affaires publiques de proximité, le processus togolais remet l’État au centre du dispositif de la gouvernance administrative…C’est a priori une vision réductrice des avantages comparatifs que la décentralisation aurait pu induire pour le développement national.
  5. Cette décentralisation définie par le législateur togolais augure des défis qui vont surgir lorsque les populations auront voté pour les élus locaux. Les immixtions des autorités déconcentrées (les préfets notamment) dans la gestion des communes sont à craindre. Sans un bon cadrage technique, il faut s’attendre à ce que des collectivités locales soient bloquées dans leur fonctionnement. Et dans le cas du Togo, sauf reconversion extraordinaire et en l’absence de juridictions administratives indépendantes, on verrait le pouvoir politique en train d’arbitrer des conflits dans lesquels lui-même est partie !
  6. Il faut néanmoins prendre acte : le découpage administratif qui est fait et la démarche de territorialisation adoptée ne font que traduire l’approche de la majorité UNIR aux commandes en matière d’administration du territoire. En soi ce n’est pas une anomalie politique d’autant plus qu’un tel aménagement n’est pas irréversible ; toute future majorité parlementaire sera loisible de le modifier à sa guise.
  7. Il faut quand même saluer la volonté enfin matérialisée des pouvoirs publics de mettre en place des structures de gestion locale, dans une dynamique de décentralisation. Les manquements constatés dans le cadre normatif pourront être endigués par le biais de mécanismes supplémentaires d’administration des collectivités locales. Il pourrait en être ainsi par exemple en ce qui concerne des questions pratiques telles que : la fonction publique territoriale, les processus de planification, de programmation, de budgétisation, de passation de marchés, de fourniture de services, des mécanismes de recevabilité, etc…
  8. Il est normal que des opposants accusent le pouvoir actuel d’avoir voulu tailler les communes à la mesure de ses intérêts politiques. Mais les choses pourraient-elles être autrement ? Il s’agit bien d’un processus politique. Et le dispositif législatif forgé n’est pas suffisant pour admettre que le pouvoir férule grâce à cette seule loi aurait la férule sur la gestion des communes créées. Il appartient à chaque force politique de prendre la mesure de la configuration sociale et économiques de nouvelles entité et d’y déployer les stratégies adaptées pour y contrôler les conseils communaux par l’entremise de leurs élus.

Bon courage aux acteurs dans la conduite de ce processus ardu dont la réussite ne peut que favoriser l’amélioration de la situation des populations togolaises.

Dany yida, Spécialiste en gouvernance et management du développement