Si la pensée et la raison atteignent la perfection exigée par la finalité, l’action s’impose de soit. Malgré la petitesse du pays et de sa population, la plupart de ceux qui s’investissent dans l’action publique n’ont qu’une vision étriquée du peuple réel. Le Togo et les Togolais souffrent d’une crise de la pensée qui, conjuguée avec les ambitions des acteurs engendre une parfaite anarchie qui pousse les gens et les initiatives les plus insignifiants à se prendre pour crédibles et définitivement incontournables. Il faut voir mes présentes réflexions sous forme d’interrogations et d’introspection. Comme d’autres, je me retrouve dans les ténèbres de ces phantasmes, sans doute subjugué par cette piété que tous nous avons pour la patrie, Terre de nos Aïeux, l’Or de l’Humanité, et d’autres attributs encore…
J’aimerais qu’on parle des “libérateurs du Togo”. Pourquoi tant de concitoyens s’intéressent-ils depuis si longtemps à la situation du pays et que malgré cela nous soyons restés à la première condition du bas étage de la démocratie? Ma question s’adresse autant aux militants et dirigeants des partis politiques qu’aux acteurs (prétendument) indépendants de la société civile et de la diaspora. Je commence par expliquer la raison fondamentale de mon engagement personnel: né durant l’apogée de la dictature, heureusement éduqué aux principes de liberté, je suis profondément convaincu que seule la démocratie est capable de favoriser le développement et la prospérité de notre peuple. Or le régime RPT (de père en fils) est par nature anti-démocratique. Il est donc hors de question d’entrevoir des réformes ou des accommodements endogènes dans un tel système. La dévotion patriotique et le bon sens m’enjoignent donc de m’engager pour le changement intégral de ce régime et pour l’avènement d’une démocratie viable. C’est la motivation intrinsèque de mon combat aussi bien dans la presse indépendante que dans les organisations citoyennes du pays et de la diaspora.
Je découvre que la raison principale de l’échec des efforts et des sacrifices consentis pour la démocratie au Togo est l’amalgame entretenu au sein des organisations pro-démocratiques sur la finalité de nos engagements. Parti politique ou société civile, organisation interne ou de la diaspora on s’est trop peu préoccupé de savoir si l’orientation prise et les actes posés répondent au souci de libérer politiquement le pays ou par un jeu de levier à celui de remplacer uniquement les dirigeants actuels. La nuance n’est peut-être pas évidente pour certains. Je voudrais emprunter les idées que je tire des échanges que j’ai eus cette semaine avec un ami, grand patriote , pour expliquer la chose. “Moi je suis de ceux qui croient, comme toi d’ailleurs, que le combat de libération n’est pas un combat ou à la fin l’on aligne les trophées gagnés ou des postes que l’on doit nécessairement occuper. Le combat de libération est un combat d’abnégation et de sacrifice. Il faut nécessairement le séparer de tout combat politique ou l’objectif à terme à mon sens, est la conquête du pouvoir. Si cela est clair dès le départ que l’on lutte pour le pouvoir comme moyen d’expression et d’accomplissement d’une idéologie politique, on doit s’attendre à avoir le pouvoir pour le prouver. C’est le cas des partis politiques de notre pays aujourd’hui.” (sic)
Cela devrait se passer de commentaire. La part de cafouillage des partis politiques togolais – il faut les plaindre plutôt que de les critiquer – c’est qu’ils sont obligés dans un contexte très hostile de se comporter comme des organisations légales fonctionnant dans un système démocratique libéral, reconnaissant et protégeant les droits civils et politiques. Et puisqu’il n’ont que le suffrage universel comme outil de mesure de leur capacité d’action, le système leur impose des élections; des simulacres d’élections pour tout dire. Et c’est à cela qu’aboutit toute tentative de dialogue! Ces partis, aussi faibles qu’ils paraissent face au système d’oppression du régime militaire en place se servent parfois malgré eux des populations civiles comme bouclier. Ce n’est pas ce qui explique les tueries d’Avril 2005 ; on y reviendra plus tard…
La situation est pire au sein de la communauté des Togolais de l’extérieur. La diaspora togolaise – c’est trompeur d’en parler au singulier – est une grande force potentielle mais foncièrement rendue inadéquate du fait de son inorganisation et de sa conception parcellaire du jeu politique. Je me passe des clubs de soutien des partis politiques qu’on retrouve dans presque toutes les grandes capitales occidentales. C’est dans l’ordre des choses, paraît-il. Sans dévoiler un secret, on reconnaît un dynamisme et un activisme extraordinaires à certains compatriotes hors du pays dans le sens des initiatives de libération. Pour qui s’est quelque peu intéressé à ces choses-là, on y découvre aussi une confusion à la limite de l’inconscience. Des groupuscules, voire des individus confortablement englués dans des projets grandiloquents se prennent à rêver d’entreprendre de libérer le Togo et d’en être capables à eux seuls dans des circonstances surréelles. Ils se contredisent, s’entre-combattent et étalent un tel amateurisme que des pays favorables à la cause se réduisent à les consoler plutôt que de les soutenir. Le pire c’est quand ces initiatives n’ont aucune emprise sur le terrain réel ou quand en les suivant, on se retrouve au salon du leader d’une formation politique. En vérité, s’ils en viennent à se comporter ainsi, c’est que ces concitoyens sont plus souvent inspirés par les dividendes personnels de leurs actions que par l’engagement patriotique libre au but bien défini. C’est aussi la raison des antagonismes au sein des diasporas. Or le combat de libération, comme le dit si bien mon ami, est un combat d’abnégation et de sacrifice!
Le seul moyen d’entrevoir une lutte de libération dépouillée de calculs personnels mesquins, c’est de (re)construire le mouvement démocratique sur des promesses nouvelles. Cela n’oblige aucunement au “rassemblement de tous les démocrates et affidés”. Seul un mouvement cohérent ayant fait toutes les preuves de crédibilité et de représentativité triomphera des obstacles naguère vécus. C’est une question de dévouement et de conviction. C’est aussi une question de courage et de discipline. Il y en a heureusement qui l’on compris et qui y travaillent.
Dany Ayida,
27 mars 2006.