Dialogue national: Les absurdités d’un accord compromis

AUTOPSIE DU PROJET D’ACCORD POLITIQUE DIT GLOBAL
Ma démarche ne s’inscrit pas dans la logique d’une critique délibérée du travail fait par les partis politiques et leurs alliées féminines, mais celle d’une analyse technique des éléments de fond du document soumis à l’attention des protagonistes et du peuple à la lumière des enjeux politiques dans mon pays. Comme d’autres citoyens j’ai lu attentivement le projet de compromis et je l’analyse en fonction des engagements pris et des attentes des Togolais du pays et de l’extérieur.
(Voir le texte intégral du projet d’accord, article précédent)

Le cadre électoral
Le projet d’accord fait part de quelques dispositions relatives à la révision du cadre électoral. Les réaménagements préconisés ne semblent pas prendre en compte les problèmes réels du système électoral au Togo. Quelques points méritent qu’on s’y penche sérieusement.

Les attributions, la composition de la CENI et de ses démembrements
“Tirant les enseignements des précédents processus électoraux, et agissant conformément à l’engagement n°1.3, les parties prenantes au Dialogue ont réaffirmé par consensus leur adhésion aux acquis de l’Accord-cadre de Lomé concernant les attributions, la composition et les démembrements de la CENI. Elles ont toutefois convenu d’y apporter des améliorations nécessaires à la transparence, à la liberté et à l’équité des élections.”

En réalité les mesures préconisées ne font qu’augmenter le flou qui entoure l’institution CENI dans l’agencement juridico-politique togolais depuis 1998. Pour preuve: “(i) La Commission Electorale Nationale Indépendante est rétablie dans sa pleine mission d’organisation et de supervision des consultations électorales et référendaires. Elle est assistée, à sa demande, par l’Administration.” Cette CENI là est une institution visiblement ad hoc, formatée pour l’organisation des élections législatives. On l’a déconnectée de l’Administration prétendument pour en garantir l’indépendance. En élaborant une telle commission électorale, les partis politiques donnent le pouvoir au Gouvernement de bloquer le processus électoral. Tel fut le cas de la CENI sous le Comité Paritaire de Suivi de l’Accord Cadre de Lomé; conséquence les élections consensuelles n’ont jamais eu lieu malgré tout le soutien de la communauté internationale.

“En plus des partis politiques, la société civile et l’Administration sont représentées dans la CENI”
Ces politiciens ignorent apparemment les exigences d’un système électoral et de l’administration électorale comme cela s’impose dans tous les processus électoraux aujourd’hui en Afrique.
Après avoir établi une relation de sujétion entre la CENI et l’Administration, on met cette même Administration dans la Commission Electorale. Enormité! Par contre c’est une chose normale et nécessaire que d’impliquer la société civile dans la CENI. Mais quelle société civile et sur quelle base sera-t-elle représentée dans la Commission? Les partis ont déjà créé un précédent dangereux en s’affublant les deux associations de femmes…

Au Burkina Faso, au Ghana et au Bénin la société civile joue un rôle moteur dans les commissions électorales. Elle les préside souvent et se montre capable de recul face aux menaces de corruption et de pressions diverses. Mais tout dépend de comment les autorités de ces pays traitent la société civile en question.

La CENI proposée par Agboyibo et les siens est une structure pléthorique de 19 membres (voir la composition détaillée dans le projet d’accord). Cela appelle quelques observations.
1- Le RPT est surreprésenté par rapport aux 5 partis qui ne sont pas en coalition;
2- L’ensemble des partis politiques sont surreprésentés par rapport à la société civile.
3- Les Commissions électorales locales indépendantes (CELI) exclusivement entre les mains des partis politiques vont être une chambre de confrontations. Pourquoi la société civile plus présente dans le Togo profond (que les partis) est exclue des CELI? A la différence de la CENI, institution nationale avec des prérogatives étendues, les CELI considérées comme démembrements sont d’habitude des structures techniques d’exécution des tâches d’organisation des élections.
4- Les bureaux de vote sont entièrement composés des membres de partis politiques. Ceci est une aberration. La CENI devrait recruter les membres des bureaux de vote sur la base de critères formels parmi les citoyens sachant lire et écrire dans les localités du pays sans tenir compte de leur appartenance politique. Par contre tous les partis politiques ont le droit d’être représentés dans les bureaux de vote par des délégués dûment mandatés par eux.

NB: Dans la sous région, les CENI tripartites et équitables sont les plus viables. Au Togo l’attribution intuitu personae des 2 places de la société civile aux deux associations féminies parties dans ce dialogue consacre le scandal d’une vision réductrice de la société civile nationale par le RPT et ses amis de l’opposition.

Scrutin, découpage et fichier électoral
“En vue d’aboutir à l’organisation d’élections démocratiques, équitables et crédibles, les parties prenantes au Dialogue ont convenu de la nécessité de faire procéder à un recensement électoral pour obtenir un fichier électoral fiable.Les modalités de ce recensement électoral seront déterminées par le Gouvernement.”
Les partis politiques minimisent gravement les responsabilités et la tâche d’élaboration d’un système électoral. Ils font bien de “mettre en place une cellule chargée de procéder à une étude approfondie des différents modes de scrutin” mais ne définissement aucunément les orientations d’une telle mission. On évoque un “fichier électoral” comme s’il s’agissait d’un jeu quelconque. Sur le découpage électoral, sur le recensement et sur l’établissement des cartes d’électeur, le projet d’accord fait montre d’une paresse extraordinaire. Et le texte observe un grand silence sur l’administration du fichier électoral lui-même.

S’il s’agit d’informatiser l’ensemble des informations et des opérations relatives au corps électoral et aux processus électoraux, il faut entrevoir un processus d’au moins 18 mois nécessitant quelques millions de dollars et des compétences techniques éprouvées. Car il faut comprendre que l’informatisation du fichier électoral est un processus hautement technique et coûteux qui requiert une réelle volonté politique. Tout ceci doit transcender l’organisation l’organisation d’élections législatives sous perfusion européenne.

L’observation des élections
“Conformément à l’engagement n° 1.5, les parties prenantes au Dialogue se sont engagées à accepter la présence des observateurs internationaux aux prochaines élections législatives afin d’attester de la régularité et des conditions de transparence et de sécurité de son déroulement. Le Dialogue national recommande à la CENI d’étudier les conditions de suivi du processus du scrutin par des observateurs nationaux.”

Pourquoi s’engager à accepter l’observation internationale des élections et faire des mystères sur l’observation nationale qui s’impose naturellement? Les partis font ici preuve d’une fuite de responsabilité. Confier à la CENI d’étudier les conditions de suivi du processus du scrutin par les observateurs nationaux est une aberration. La CENI met en oeuvre des actions qu’on lui confie elle n’agit pas en fonction des opportunités et des circonstances.

Quota de siège pour les femmes
C’est une bonne chose d’évoquer le problème de sous-représentation voire d’absence des femmes dans les sphères de décision au Togo. Mais le dialogue partisan aurait pu faire un pas qualitatif en s’engageant pour un quota clair. Ils se contente d’inviter les “partis politiques à s’imposer un minimum de candidatures pour les femmes aux élection“. Le GF2D et le REFAMPT n’auront apparemment pas convaincu leurs hommes.

Les réformes institutionnelles
Sur ce point aussi le dialogue national a péché par manque d’ambition. Les partis en conclave prescrivent la révision du code électoral sans en donner des lignes directrices. Ils “préconisent que les réformes convenues soient mises en forme de textes législatifs par un Comité de rédaction en vue de leur incorporation au code électoral à la diligence du gouvernement.” Mais quelle sera la force juridique d’un tel document? Ce qu’il faut craindre c’est que cette fuite en avant n’amène les “dialogueurs” devant l’Assemblée nationale du RPT qui doit au dernier chef homologuer les réformes à faire. Et on se retrouvera en 1999 avec des blocages à n’en plus finir.

Le dialogue veut mettre en place une commission pour étudier la révision de la Constitution. Là aussi il évoque vaguement des débats sans indiquer de cahier de charges clair.

Les problèmes de sécurité et l’impunité
On voit ici une litanie de déclarations d’intention. On savait déjà que l’Armée ne se sent pas concernée par le dialogue en cours. Les partis préconisent donc que des “des personnes ressources soient désignées pour étudier les problèmes de l’Armée et des autres Forces de sécurité ainsi que les solutions à y apporter, avec le concours des partenaires du Togo.” C’est une fuite en avant. Les recommandations faites n’empêchent pas que les partis constatent les défaillances en matière de sécurité au Togo et prennent des mesures urgentes.

Sur les questions d’impunité, Agboyibo et ses amis font un jeu de saute-mouton. ” Toutes les délégations reconnaissent que l’impunité des actes de violence à caractère politique est un phénomène grave que le Togo a connu de tout temps notamment à l’occasion des processus électoraux de 1958 à 2005.” Cette remontée dans le temps est surréaliste! La période de référence, 1958 est sujette à caution. En 1958 l’Etat souverain du Togo qui nous préoccupe aujourd’hui n’existait pas. Apparemment des gens ont voulu équilibrer des plaies de l’histoire de ce pays pour solder des responsabilités.

Formation d’un nouveau gouvernement et dispositions finales
Le projet ne motive pas ce qu’on présente comme un consensus et qui est visiblement la mesure la plus importante du dialogue surtout pour les partis d’opposition. “Toutes les délégations ont adhéré au principe de la formation d’un nouveau gouvernement et ont déclaré être disposées à y entrer.” Y a-t-il eu un accord de gouvernement? Quelles en sont les modalités? Si on comprend bien, les innonbrables questions laissées en suspens pourraient être réglées par ce gouvernement. Donc la cause est entendue.
Il y a plus grave, “les parties prenantes au Dialogue lancent en conséquence à l’Union Européenne, un appel en vue de la reprise entière de la coopération avec le Togo“. C’est la capitulation la plus catastrophique pour les anciens opposants au régime. Sans même attendre un commencement d’exécution des mesures timides préconisées, on est prêt à l’extrême concession.

En conclusion
Si ce projet est adopté, on retiendra quatre choses:
1- Le dialogue n’aura pas réussi à définir un cadre politique et légal clair pour le processus électoral.
2- Les parties au dialogue s’entendent pour remettre à plus tard et à des commissions virtuelles le règlement des questions urgentes de sûreté et de conciliation.
3- Le projet d’accord consacre deux partitions: celles des 6 partis au dialogue avec les autres formations politiques du pays d’une part et celle de deux associations de femmes se copinant avec des politiciens au détriment de la société civile nationale d’autre part.
4- La notion “opposition” a disparu du jargon d’Agboyibo et ses copains.

Mais si le projet n’est pas adopté, nous allons vers l’échec du dialogue. C’était prévisible.

J’attends vos commentaires.

Dany K. Ayida