10 RAISONS POUR LESQUELLES J’AURAIS VOTE CONTRE L’ACCORD POLITIQUE ”GLOBAL”

Autopsie
Une certaine euphorie a accueilli la signature par les neuf partis et associations engagés dans le dialogue intertogolais d’un accord politique qu’ils ont extravagamment décidé de qualifier de « global ». La longue crise politique et les sacrifices énormes consentis par le peuple du Togo dans sa quête de liberté et de démocratie pourraient expliquer ces appréciations. Une façon de dire que les Togolais dont la cause est désespérée devront accepter ce compromis quoique bancal pour leur bien. Un élément déterminant mérite d’être retenu qui justifierait au demeurant l’autosatisfaction pour le moins béate affichée par les formations politiques : la mise en place d’un Gouvernement d’union nationale comprenant des ministres issus de toutes les organisations signataires. Cet appât a permis au médiateur Blaise Compaoré et à Faure Gnassingbé successeur de son feu père Eyadema d’apprivoiser les partis de l’opposition naguère réputés pour leur intransigeance. A cela il faut ajouter la requête collective de la reprise de la coopération avec l’Union Européenne : raison fondamentale de la tenue de ce dialogue suite aux 22 engagements pris en 2004 par Koffi Sama au nom d’Eyadema.
En ma seule et suffisante qualité de citoyen togolais, je me suis intéressé à ce document pour essayer de le comprendre. Sans a priori ni parti pris, je voudrais toucher du doigt les points de cet accord qui n’auraient guère reçu mon adhésion si elle était requise, même avec un poste ministériel comme récompense. J’ai détecté au total 10 points sur lesquels il faudrait se pencher au risque d’entraîner à nouveau le Togo dans les dédales de flibusteries politiques ruineuses.

1 – Le dialogue intertogolais et l’accord issu ont mal intégré les compromis précédents

Il est difficile de croire que les parties au dialogue n’aient pas mieux fait que l’Accord Cadre de Lomé du 19 Juillet 1999. Les raisons de l’échec de l’ACL ont été toutes conservées dans le nouvel accord : tutelle gouvernementale de la CENI, défaut de chronogramme rigoureux du processus, prépondérance des partis politiques et négligence des composantes sociales. Pis, contrairement à l’accord de 1999 le nouveau ne prévoit qu’un mécanisme de suivi facultatif et négligeable.

2- La nature ambiguë de l’Accord et sa soumission à l’appréciation souveraine du ‘’Chef de l’Etat’’

Deux références contenues dans cet Accord lui enlèvent toute force politique contraignante vis-à-vis du régime du RPT.

– « Elles (les parties au dialogue) ont convenu de proposer au Président de la République Togolaise la mise en place d’un Gouvernement d’Union Nationale dans le but de restaurer la paix, la sérénité et la confiance mutuelle et d’organiser des élections législatives justes, transparentes et acceptables par tous. »
– « Elles proposent au Président de la République de former un Gouvernement d’Union Nationale ouvert aux partis politiques et à la société civile, dans un esprit de réconciliation nationale et de confiance mutuelle pour la consolidation du processus d’apaisement. »

En mettant Faure Gnassingbé au-dessus de la mêlée, on crée une situation de deux poids deux mesures qui compromettra la mise en œuvre des réformes proposées. Les deux stipulations citées plus haut réduisent tout l’accord à une compilation de simples recommandations. L’opposition a été minable de concéder telle chose.

3- Ambivalence entre les dispositions normatives et les orientations pratiques continues dans l’accord

L’Accord vise formellement l’organisation d’élections législatives. Il prévoit pour cela des réformes du cadre électoral par un gouvernement d’union. Sur des questions essentielles comme le cadre légal des élections, la sécurité des acteurs politiques et des populations et l’agencement institutionnel des prérogatives de l’Etat, les mesures préconisées sont plus des exhortations que des décisions. Or il eût été plus simple et plus sûr que les parties au dialogue élaborent les outils destinés à réguler la période de transition. De plus, les tâches confiées à Gouvernement semblent dépasser les capacités d’une telle équipe composite, multicolore et assurément sans discipline cohérente.

4- Cahier de charges trop vague du gouvernement d’union

Le dialogue n’a pas été en mesure de doter le Gouvernement d’union d’une véritable feuille de route. Les missions comme : le financement des partis politiques, la rédaction du code électoral, la sécurité des personnes et des biens… auraient mieux gagné à être clairement et définitivement traitées avec des échéanciers précis. Connaissant les protagonistes et la compétition ouverte par cet Accord, il est fort à parier que ces points feront l’objet de blocages récurrents. Le Gouvernement d’union ne semble pas jouir de prérogatives exorbitantes lui permettant d’échapper aux humeurs de la famille Gnassingbé. Il eût été plus sage d’avoir un « Accord de gouvernement » qui définit des missions, des attributions et des limites. Ce qui arrivera dans les prochains mois, c’est que des ministres soient renvoyés sans ménagement ou que d’autres sortent du gouvernement pour exercer des pressions au regard d’autres enjeux de politique partisane. Un gouvernement incohérent et dont les ministres n’iront pas au même rythme sera source d’antagonismes récurrents.

5- Le lien fonctionnel entre la CENI et l’Administration crée une sujétion source de blocage

Non seulement les participants au dialogue n’ont pas tiré les leçons de l’échec des CENI précédentes au Togo, mais ils ne semblent pas non plus avoir tiré profit des riches expériences africaines en matière d’administration des processus électoraux. J’ai relevé deux facteurs qui vont rendre la future CENI lourde, politiquement indolente et financièrement dépendante. Le premier est la « liaison » créée formellement entre la CENI et le ministère de l’intérieur d’une part et la collaboration de fait instaurée stipulant que la CENI « à sa demande » peut être assistée par le Gouvernement.

6 – Contradiction entre le caractère prétendument équitable de la CENI et la prépondérance (89,47%) des partis politiques

C’est sur la CENI que les parties au dialogue ont le plus élaboré. Mais ils n’ont pas été aussi pertinents que cela. Il y a beaucoup d’amalgames qui prouvent que les partis politiques engagés dans cette affaire soit ne consultent pas des spécialistes en ces matières ou alors ne sont pas bien informés. La composition équitable de la Commission électorale supposait un apparent équilibre entre les forces qui la composent. Or on note que les partis politiques sont surreprésentés (89,4%) des 19 membres.
Il y a aussi contradiction entre l’affirmation de l’équité de la CENI entre le RPT, l’opposition et la société civile alors que seules deux places sont maladroitement attribuées aux deux associations de femmes associées au dialogue. Celles-là sont d’ailleurs loin de représenter la société civile togolaise. Les partis politiques et les deux associations qui se comportent ici en ailes marchantes montrent là une attitude de chasseurs de prime!

Quelle est la qualité des deux membres de la CENI désignés par le Gouvernement alors même que toutes les composantes dudit gouvernement d’union sont déjà représentées dans cette CENI ? Il s’agit là d’une autre preuve de ‘’tutellisation’’ de la CENI. La CENI est un organe technique qui n’a pas besoin d’observateurs en son sein. Si on veut établir un rapport de collaboration entre la Commission électorale et le Gouvernement, ceci aurait pu se faire par des moyens ordinaires de coopération interinstitutionnelle.

7- La composition des CELI sous la férule exclusive des partis n’en garantit aucune efficacité

Les Commissions Electorales Locales constituent un autre monstre inventé par les acteurs politiques. Sur 9 membres de la CELI un seul n’est pas issu directement des partis politique : le magistrat président. Or sur 10 juges au Togo au moins 8 broutent dans la prairie du RPT où ils sont attachés. La société civile est exclue des CELI alors que des ONG et associations locales dans les préfectures auraient pu donner un coup de main formidable au processus électoral à moindre coût.
Alors que partout en Afrique les CELI sont les structures d’exécution des tâches de l’administration électorale, le Togo en fait un instrument politique. Mais les parties au dialogue ont eu l’adresse de penser à une Commission technique pour épauler la CELI. Commission dont ils ne définissent pas les attributions. La conséquence prévisible de cet état de fait, c’est qu’on aura au plan local des démembrements de la CENI lourds, inopérants, budgétivores et excessivement ennuyeux.

8- Le mandat donné au Gouvernement d’union de régler le mode de scrutin des législatives et la caution de candidature

L’Accord confie au futur Gouvernement d’union la charge de choisir le mode de scrutin adapté aux prochaines élections législatives. Ce même gouvernement de partis politiques (chose normale) doit décider de la caution à payer par les candidats à ces élections. Le dialogue n’a donc pas permis de trouver un compromis sur ces questions. Mais alors par quelle alchimie ces adversaires politiques parviendront-ils à s’entendre dans le contexte effréné de compétition politique en vue ? En s’arrogeant de telles prérogatives, le prochain gouvernement de partage creuse sa propre tombe, à moins que la collaboration entre le RPT et l’opposition ne conduise à un nivellement complet des positions et des idéaux.

9- Les mesures relatives à la sécurité sont en déphasage avec les problèmes réels

Le plus grand manquement de ce dialogue et son plus gros échec sont le traitement fait de la question de la réforme de l’armée. Le sujet a été à la fois élargi et réduit à celui de « questions de sécurité » ramassant Forces armées et forces de sécurité sous le même label et prodiguant la même thérapeutique pour cet ensemble. Les 7 partis politiques n’ont pas trouvé de solution à l’immixtion des militaires dans la vie politique nationale. Ils préconisent des conseils qui n’empêcheront pas les officiers des FAT de perpétrer des violations des droits de l’homme, d’intervenir dans le jeu électoral et de soutenir le parti RPT comme ils l’ont toujours fait.

10- Le mécanisme de suivi de l’Accord incluant les acteurs du processus est inefficace

En créant un Comité de Suivi comprenant à la fois les parties au dialogue, le facilitateur, l’UE et la CEDEAO, l’Accord a innové par rapport aux précédents engagements. Mais on aurait pu mieux faire là aussi. Le mécanisme préconisé est vicié dans sa forme et dans son essence. Le Togo mérite eu égard à la nature de la crise un Comité International de Suivi qui sera en relation avec l’ensemble des acteurs. Le Facilitateur burkinabé, la CEDEAO et l’UE auraient dû s’adjoindre les Nations Unies et l’Union Africaine pour constituer un véritable mécanisme de surveillance et de médiation dans le cadre d’un processus électoral réellement global et inclusif.

Conclusion
A cause de ces dix réserves, si le peuple togolais était invité à se prononcer par référendum sur cet Accord politique, j’aurais fait campagne pour le non. Mais puisque ce n’est plus la démocratie qui motive la plupart des acteurs, j’invite mes concitoyens à la plus extrême vigilance.

Dany K. Ayida

Lire aussi mon article paru dans le journal Le Pays au Burkina Faso.