En attendant la Diaspora togolaise

Une dizaine d’années passées à l’extérieur du pays, quelques voyages en
Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord et dans des pays africains ont confirmé
et renforcé ma connaissance des Togolais vivant à l’étranger. Je n’ai pas personnellement
réalisé une étude sur le sujet avec des références statistiques pour cerner la question ;
mais la présence des communautés togolaises, leur organisation, leurs liens
avec le pays tout comme leur capacité d’action ont pu faire l’objet de quelques
travaux et réflexions dont je partagerai les résultats le moment venu.
L’aspect que j’aimerais aborder dans cet article se rapporte à l’engagement
politique de la diaspora togolaise et la fixation que le pouvoir fait sur elle
depuis quelques temps. Il faut d’abord comprendre que cette diaspora à l’instar
de nombreuses autres n’est pas une composante homogène avec des orientations
claires. Sur le plan purement politique, dans les grands pays de regroupement
des Togolais comme le Ghana, l’Allemagne, la France, le Gabon, le Bénin, les
USA, le Burkina Faso et le Canada, nos compatriotes sont identifiables dans
quatre catégories non exhaustives:

  1. Les citoyens engagés dans des mouvements associatifs, politiquement
    connotés de l’opposition;
  2. Les citoyens organisés dans des structures semi-associatives et afiliées
    aux Ambassades du Togo dans le pays hôte;
  3. Les citoyens organisés au sein d’organisations communautaires, à
    caractère purement social;
  4. Des citoyens sans aucune affiliation associative ni engagement
    politique.
Plusieurs projets d’identification et de structuration des Togolais de
l’étranger existent. Les plus récents ont été initiés par le gouvernement, dans
l’intention dit-on, d’impliquer ces compatriotes dans le développement du pays.
Les autorités togolaises n’ignorent pas le potentiel économique que représente
cette communauté, estimée entre 1500 000 et 2 millions d’âmes. Je crois que ce
chiffre est en deçà des réalités. Les communautés togolaises dans les trois
pays voisins : Ghana, Bénin et Burkina Faso seuls ajoutées à celle de la
Côté d’Ivoire devraient faire dans les 2 millions de citoyens! Le recensement
de 2010 a estimé la population résidant au Togo à 5 753 324. Ainsi donc la
diaspora serait la première région du Togo, avec plus de 25% de la population
générale. Selon Samir Abi, commentant une étude menée en Allemagne au dernier
semestre de l’année 2011 sur les transferts de fonds des migrants togolais,
la diaspora togolaise se retrouve ainsi majoritairement en Afrique
(Gabon, Côte d’ivoire, Burkina, Bénin), en Amérique du Nord (États-Unis et
Canada) et enfin en Europe (France, Espagne, Allemagne, Belgique)
“.
Contrairement à des idées reçues, les transferts des migrants togolais en
Afrique vers leur pays est plus important que ceux de leurs compatriotes dans
les pays du Nord. Le tableau ci-dessous donne un aperçu de la comparaison
des envois d’argent au pays par les migrants togolais.
1.Diaspora togolaise aux États-Unis 47,12 millions US$
2.Gabon 44,67millions US$
3.Espagne 29,96 millions US$
4.France 22,54 millions US$
5.Côte d’ivoire 18,59 millions US$
6.Burkina Faso 12,91 millions US$
7.Congo 8,45 millions US$
8.Allemagne 7,32 millions US$
 Source: Samir Abi (opp cit.)
Ce poids financier interpelle quant à la
question de l’engagement politique. Il se pose une problématique pour le moins
paradoxale qui induit une conséquence que je trouve par contre intéressante. Le
gouvernement RPT/UFC en place à Lomé a créé au Ministère des Affaires
étrangères, une Direction chargée des Togolais de l’étranger. Les premières
initiatives démontrent que c’est l’argent de cette communauté qui intéresse ces
gouvernants. Un projet financé par la Banque Africaine de Développement est en
train de procéder à un recensement de ces Togolais. Beaucoup de compatriotes de
peur de se faire instrumentaliser ou repérer par les services secrets du Togo s’en
méfient et n’y participent pas.

Des organisations de la société civile au Togo ont également des projets de développement local impliquant les Togolais de l’extérieur. L’idée est d’amener des gens à soutenir des projets de micro-réalisation dans les localités d’origine des migrants. Je ne suis pas autorisé à en dire plus, de crainte que certaines personnes ne dénaturent cette initiative… 

De l’autre côté, le même gouvernement RPT/UFC
a décidé (bêtement) de durcir la législation sur la double-nationalité. Un
projet de loi en discussion prévoit de déchoir de leur nationalité, les
Togolais ayant acquis une autre nationalité dans les pays qui astreignent à
renoncer à la nationalité d’origine. Le but, vous vous en doutez, c’est de
contenir la «menace » que constituent les élites de la diaspora sur le
plan politique. Le manège a été monté dans les officines du pouvoir dans le dessein
de couper l’herbe sous le pied des partis de l’opposition qui sont les plus
grands bénéficiaires de l’apport en ressources humaines en provenance de la
diaspora. Les tenants de l’oligarchie comprador vont plus loin, ils
maintiennent dans la loi électorale l’obligation de résidence (au moins 6 mois
avant le scrutin) pour empêcher les citoyens expatriés à se porter candidats
lors des prochaines élections législatives et municipales…

Le RPT/UNIR a peut-être vu juste en s’intéressant
à ces Togolais. La diaspora togolaise constitue une formidable force politique qui
pourrait se révéler décisive dans la bataille pour le changement dans notre
pays ainsi que dans son développement. Mais je vois mal ces Togolais, dans les conditions actuelles, investir dans ce pays. Ceux qui s’y sont essayés ces dernières années l’ont regretté.  L’ouverture de façade ne profite qu’aux membres de l’oligarchie et à leurs proches. Nos concitoyens ne vont pas non plus se contenter de jouer aux assistants sociaux, en continuant d’envoyer leurs ressources (acquises dans des conditions éprouvantes) pour colmater les brèches du fait de la mauvaise gestion des affaires publiques nationales et de la corruption qui se pratique à l’air libre dans ce pays. 
Le prince-héritier Faure et ses comparses savent bien que la très grande
majorité de cette diaspora milite pour le changement démocratique. C’est sans
équivoque.
Continuons à travailler à la
réorganisation de la diaspora, dans l’optique des prochaines échéances (pas nécessairement
électorales) pour le changement au Togo. La restructuration des communautés de
Togolais à l’étranger doit obligatoirement tenir compte des affinités
politiques. L’urgence est de faire de la diaspora le fer de lance pour l’alternance
à la tête du Togo d’ici en 2015. Au-delà des organisations et fraternités ça et
là, l’enjeu appelle à la mise en place des Conseils
démocratiques des Togolais
de France, de Belgique, d’Allemagne, du Gabon,
du Canada, des USA, du Ghana, etc… Ces conseils démocratiques (ce n’est pas un vœu
pieux, cette dynamique à l’étude depuis quelques années est en voie d’implémentation
dans quelques pays) seraient des organisations d’obédience démocratique engagées aux côtés du mouvement socio-politique porteur du projet d’alternance et de reconstruction nationale . Il faut s’attendre à plus de cohérence et d’efficacité
dans la participation citoyenne des Togolais de l’extérieur. Dans plusieurs pays, en Afrique comme en Europe ou en Amérique du Nord, l’intérêt de nos compatriotes pour ce renouveau est encourageant, pour le moins. 
Et puisque la
dictature leur déclare la guerre en s’en prenant à leur citoyenneté, la réponse
devra être à la hauteur de l’attaque.
Dany K. Ayida