Il y a ceci de particulier dans le cas togolais que les mêmes causes produisent immanquablement les mêmes effets. Nous sommes émus par la mobilisation des forces démocratiques du Togo, dans le monde entier pour réclamer le changement et le départ du monarque (de la République) Faure Gnassingbé. Ce degré d’engagement des compatriotes est quasi-inédit quoique ce ne soit pas la première fois que les Togolais démontrent leur attachement à cet idéal. Mais les jours passent, depuis le 19 août ; les manifestations drainent du monde dans plusieurs villes et au sein de la diaspora. Mais une chose est évidente : ces populations vont finir par se fatiguer un jour et le pouvoir attend pour siroter sa victoire et nous emmerder plus que jamais !
L’espoir de beaucoup de Togolais, c’est de voir le rapport de force basculer définitivement. Ils sont nombreux les acteurs politiques de l’opposition et au sein des populations anonymes, à lancer des appels à l’armée pour qu’elle se joigne au peuple, pour en finir avec l’ancien ordre. Les derniers événements au Zimbabwe ont même fait croire à certains que la chose pourrait arriver chez nous aussi. Bien sûr, ce n’est pas impossible. L’armée peut renverser le pouvoir UNIR, si elle y trouve son compte. Dans les circonstances actuelles, un coup d’Etat n’est envisageable que si l’héritier d’Eyadèma acceptait de faire ce que l’opposition exige. Or, il fait tout le contraire !
L’appel à l’armée est une attitude compréhensible. Ce ne serait pas la première fois qu’on guérirait un mal par un autre mal. Un tel retournement de situation n’est possible qu’à une autre condition : qu’un groupe d’officiers de cette armée aient été traités pour épouser la cause du peuple. Sur le plan purement émotionnel, on peut dire que les conditions sont réunies qu’il en soit ainsi. Mais que spontanément les forces de défense nationale par elles seules mettent fin au régime Gnassingbé, il y a de sérieux doutes à considérer. La raison principale est que l’armée qui a mis Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005 ne peut si facilement se dédire et se tirer une balle dans le pied. L’armée togolaise est bien entendue politisée ; elle a un parti : le RPT-UNIR. Et elle reste une armée tribale, du moins par la configuration de son commandement.
Ajouter une corde à l’arc de l’opposition
Les enjeux actuels pour capitaliser sur la grande mobilisation populaire et l’effort louable de cohésion des partis de l’opposition, c’est de ne pas laisser le terrain de la politique de terrain au seul UNIR. Le Congrès récent de ce parti tenu à Tsévié a permis de réunir les troupes et se préparer pour les enjeux électoraux. Le pouvoir veut répondre dans les urnes à la fronde que l’opposition et ses partisans lui administrent. Il a les moyens pour cela. Il ne lui reste qu’à parachever les réformes au minima que son gouvernement a proposées et lancer un processus électoral qu’il espère que l’opposition va décider de boycotter. Et si cette dernière s’engage malgré tout, UNIR compte ruser pour l’emporter quand même.
Les conseils que la communauté internationale va prodiguer consisteront uniquement à demander aux opposants d’accepter les réformes et aller aux élections. Ce sera l’essentiel des discussions du dialogue auquel elle appelle constamment. Celui-ci échouera à coup sûr, les positions n’étant pas conciliables. Mais comme en 1993 et en 1999, le RPT-UNIR est disposé à renforcer la caporalisation des institutions de l’Etat. « Ces gens vivent de crise », disait un observateur averti. Leur champion a admis d’être considéré comme « dictateur sanguinaire ». Les partisans du pouvoir l’assument, aussi longtemps qu’ils garderont le pouvoir et tous ses avantages.
Faire de la politique !
La coalition de l’opposition doit se préparer à toute épreuve et se préparer également à se battre dans les urnes, lorsqu’elle réussira à obtenir quelques changements de base dans le système électoral. Evidemment les élections ne sont pas une fin en soi et l’objectif du moment est de faire tomber le régime. Oui ! il peut aussi tomber dans les urnes, grâce à la même mobilisation : cela demande du travail.
La vérité, on le sait : nul ne peut parier sur l’aboutissement d’un soulèvement populaire. C’est pour cela que la coalition de l’opposition tout en maintenant l’avantage comparatif de la rue, doit commencer à travailler sur une stratégie électorale. Cela s’impose à elle du moment où elle admet d’aller au dialogue. Et aussi parce que la remise en cause de la légitimité de Faure Gnassingbé n’exclut pas de se tenir prêt pour battre les candidats du régime dans les autres élections : municipales et législatives ; en attendant la présidentielle de 2020 (qui d’ailleurs pourrait être anticipée).
« On ne met pas tous les œufs dans un seul panier », dit la sagesse populaire. C’est pour cela qu’il faut aussi descendre dans l’arène et ne pas attendre d’être surpris par l’adversaire qui jamais ne joue à la loyale. Une dictature, on ne l’abat pas avec une seule arme. C’est pourquoi l’embellie actuelle au sein des forces de l’opposition se doit d’améliorer (je devrais dire optimaliser) les moyens d’intervention.
Faure Gnassingbé est en tournée à travers le pays. Il pose des actes qui font rire : inaugurer des ouvrages modestes, rencontrer les citoyens du monde rural, acheter du pain au marché. L’homme travaille sa socialisation (un peu à la manière d’un animal qu’on dresse)… Il s’attache les services de grands experts mondiaux (dont l’ancien premier ministre britannique Tony Blair) pour l’aider à remonter la pente. Il veut se faire un nom auprès des populations à la base et miser sur elles pour remporter les futures échéances électorales.
Ça ne coûte que de l’audace politique
Il faut sans attendre que les forces démocratiques se mettent également au travail tout en maintenant le peuple dans les manifestations devenues récurrentes. Oui, il faut continuer à affaiblir le régime et maintenir le Togo dans l’actualité africaine des grands médias internationaux. Ces démonstrations (pas en anglais) transformeraient les dizaines de milliers de citoyens mécontents en électeurs potentiels acquis à la cause du changement, de l’alternance. Elles mettraient de l’ordre dans les ambitions individuelles des partis politiques composant la coalition, en misant sur les capacités des uns et des autres. Elles feraient taire les voix sourdes qui veulent voir le regroupement exploser comme un obus, dès que les discussions seront abordées sur les élections. Elles se montreraient plus que jamais mûres et prêtes à conquérir et gérer le pouvoir d’Etat. L’union sacrée de l’opposition en passant par une alliance stratégique axée sur les élections montrerait au monde que le Togo est prêt pour l’alternance. On en est capable !
Telle est la marche à suivre maintenant, sauf si on a d’autres moyens pour renverser ce pouvoir. Mais si tel est le cas, ça se saurait.
Dany K. Ayida (mes libres pensées du 20 novembre 2017).