(Tribune publiée dans plusieurs organes de la presse africaine au cours de la semaine du 10/12/2017)
Il est heureux de voir la communauté internationale, à travers les organisations et personnalités africaines s’intéresser à la situation au Togo. Depuis le mois d’août, des Togolais dans toutes les régions du territoire national et à travers une multitude de pays à l’étranger réclament le changement. Des manifestations pacifiques sont organisées par l’opposition en vue d’obliger le pouvoir en place à réaliser les réformes politiques qui ont été programmées depuis l’ouverture politique du début des années 90 et qui n’ont jamais été achevées. Pour comprendre ce qui se passe au Togo et en mesurer l’étendue et les conséquences possibles, il est important d’avoir une idée claire des causes du ras-le-bol actuellement manifesté. Il serait aussi hasardeux pour une organisation quelconque ou un leader étranger de tenter toute médiation dans cette crise sans savoir la nature réelle du régime que des Togolais contestent. Au regard de l’ampleur des manifestations qui se déroulement dans le pays, une médiation mal conçue et mal pilotée risquerait de compliquer la situation plutôt que de résoudre la crise.
Entre l’opposition et le pouvoir, un fossé béant
Personne n’avait vu venir les partis d’opposition ; que le pouvoir avait réussi à réduire au silence depuis l’avènement au pouvoir de Faure Gnassingbé, fils du général Gnassingbé Eyadema, en 2005. Il est vrai que la contestation est permanente au Togo. Elle se faisait par intermittence, autour des périodes électorales, devenues de simples formalités pour le régime, à la tête du Togo depuis…1967.
L’année 2017 est celle qui marque donc le cinquantenaire de ce régime, avec la gestion sans partage du pouvoir par une seule famille. La succession ne s’est pas faite sans heurt : les Nations Unies avaient dénombré plus de 500 morts, à la suite des contestations de l’élection présidentielle de 2005 remportées dans le sang par Faure Gnassingbé. Les réformes qu’il a promises n’ont pas été réalisées, alors qu’il a renouvelé son mandat en 2010 puis en 2015, dans des conditions opaques, à en juger par plusieurs rapports internationaux.
En 2017, les Togolais dans leur diversité se soulèvent pour exiger le changement. Les manifestations qui ont lieu sont le signe non seulement d’un ras-le-bol mais aussi celui de la rupture de confiance entre le pouvoir et ses opposants, mais aussi avec une large partie de la population. De diverses manières, dans les rues comme dans les médias sociaux, ces Togolais démontrent qu’ils n’en veulent plus de ce système autocratique. Ce sentiment de plus en plus diffus dans le pays et dans les diasporas est simplement inédit.
Il ne peut être refoulé par de simples promesses ou un quelconque nivèlement vers le bas des attentes et préoccupations exprimées. Celles-ci se rapportent à des exigences de transformations politiques majeures, à opérer sur le double plan des institutions que des normes relatives aux libertés individuelles et collectives. Elles concernent aussi une dimension cognitive, qu’on remarque en écoutant les Togolais du Nord au Sud : ils veulent que prenne fin le particularisme du Togo, seul pays à n’avoir pas opérer d’alternance démocratique depuis son indépendance.
Un système patrimonial
Beaucoup d’observateurs se laissent aisément berner par les responsables du régime au Togo. Le pouvoir se fait passer pour une démocratie. Il s’appuie pour cela sur le rituel électoral qui est constant depuis 1992 et certains éléments du décorum institutionnel. Mais il ne s’agit que d’un verni sans éclat. Divers rapports publiés par des organismes internationaux réputés ont caractérisé les élections qui ne sont jamais transparentes. L’Assemblée nationale, le système judiciaire tout comme les médias publics sont sous la férule de l’Exécutif, lui-même sous le contrôle des forces armées tribalisées.
Dans ce Togo-là, le pouvoir appartient à la famille Gnassingbé. Il en est ainsi depuis le coup d’Etat de 1963 et la prise du pouvoir par le général Eyadema en 1967. L’armée assure la survie de ce pouvoir et elle a réussi à maintenir sa domination en dépit de l’ouverture du pays au multipartisme. L’intervention des militaires en 2005, après la mort du général et le rôle qu’elle joue dans la gestion des affaires d’Etat démontrent à suffisance qu’elle doit être considérée comme partie intégrante de la crise.
Il a été prouvé que l’institution militaire est un des obstacles principaux à la mise en œuvre des accords politiques précédents, entre le pouvoir et l’opposition pour les réformes politiques. Les généraux de l’armée étant en grande majorité issus du groupe ethnique de la famille régnante, ils croient qu’ils ont le devoir de préserver le pouvoir au profit de cette dernière. L’appareil sécuritaire est au centre de la puissance publique et rien ne peut bouger au sein des institutions sans qu’il ait eu à se prononcer, tacitement ou explicitement.
Il s’impose donc que cette armée soit dans les dispositions pour avoir son mot à dire dans le règlement de la crise, si l’on veut appliquer une solution durable qui sortira le Togo du cycle infernal.
Ce que réclame l’opposition
La rupture de confiance entre les forces en présence au Togo a atteint un tel point que du côté de certaines forces acquises au changement politique –entendez l’alternance – il ne sert plus à rien de discuter avec le pouvoir UNIR. La principale exigence de l’opposition concerne le rétablissement de la constitution consensuelle de 1992. Il s’agit au fond de garantir la limitation de mandat et l’élection présidentielle à deux tours. Elle demande aussi la possibilité pour les Togolais vivant à l’étranger de voter dans les élections nationales. En filigrane à ces exigences, il faut comprendre que les adversaires du régime ont la claire intention de mettre hors-jeu, le président Gnassingbé qui aura bouclé 3 mandats à la tête du pays, en 2020.
De telles revendications ne peuvent se régler dans le cadre de simples révisions constitutionnelles. Elles portent une dimension de défiance de l’autorité de l’Etat telle qu’elle est actuellement incarnée par le président Faure Gnassingbé. C’est ce qui explique que les manifestants de l’opposition réclament désormais sa démission pure et simple. En plus, le « déverrouillage des institutions » dont parlent les opposants relèvent de considérations qui transcendent de simples mécanismes normatifs. Ils veulent remettre à plat la gestion publique dans le cadre de l’application des compromis auxquels ils vont parvenir.
Comment aider le Togo ?
Aucun acteur international ne peut véritablement formuler et faire accepter aux protagonistes de la crise, une solution qui satisferait aux deux parties. C’est pour cela que les efforts qui sont initiés çà et là pour aider au règlement des mésententes doivent se montrer plus créatifs.
Pour le parti UNIR et son gouvernement, le dialogue ne doit servir que comme un cadre pour faire entériner ses options de réformes. La stratégie du régime ne fait pas de doute : s’ouvrir aux demandes de l’opposition tout en faisant en sorte à garantir les intérêts politiques de Faure Gnassingbé et de ses partisans. Même si cette position est politiquement défendable, il faut dire qu’elle ne prend pas en compte la requête principale que les populations qui manifestent portent depuis trois mois : mettre fin au système de domination politique. Ainsi le référendum constitutionnel proposé par le gouvernement après le vote de son parlement ne peut être une piste de dénouement, puisque la démarche contrevient totalement à la recherche de solution consensuelle.
Les débats risquent de se bloquer autour de l’application des révisions constitutionnelles, notamment sur la question de la rétroactivité des nouvelles dispositions. L’opposition ne pourrait objectivement céder là-dessus sans des garanties fortes quant à la transparence des prochaines élections. Et l’absence de confiance obligerait à imaginer des accommodements allant jusqu’à une implication forte de la communauté internationale dans l’organisation et le suivi de ces scrutins.
L’opposition politique et une grande partie de l’opinion publique au Togo ne font pas confiance à la CEDEAO. Ceci procède du rôle que l’organisation a joué en 2005 lors de la gestion chaotique de la transition suite à la disparition du général Eyadema. Ensuite la position de M. Marcel de Souza président de la Commission de la CEDEAO (gendre du président togolais) n’est pas de nature à arranger les choses. Il y a aussi le fait Faure Gnassingbé assure la présidence en exercice de cette organisation. Il serait juge et partie…
Le dialogue n’est pas pour autant impossible. Et quelques prémisses observées su côté de la médiation internationale sont de bons signes. Les consultations préliminaires entamées par le président du Ghana démontrent que ce dernier a fait une bonne lecture de certains enjeux du problème togolais. Il reste à voir la portée qu’il donnera aux négociations proprement dites et l’approche qu’il appliquera. De même l’approche mise en œuvre par le leader guinéen en sondant tour à tour son homologue togolais et les dirigeants de la coalition de l’opposition pourraient aider à cerner la crise, quant à l’état d’esprit des protagonistes, la profondeur des dissensions, les attentes des uns et des autres et d’autres aspects non négligeables. Ces deux médiations présentées comme complémentaires devront vite s’uniformiser au risque de donner lieu à des tiraillements entre les parties togolaises.
La même complexité devrait guider les acteurs à ne pas négliger les forces internes de conciliation dans le pays. Elles sont disponibles et volontaristes et ont une capacité d’action que jamais expérimentée.
La situation au Togo inquiète, dans une sous-région ouest-africaine fragile sur le plan sécuritaire. Mais la résolution efficace de cette crise politique aurait des effets bénéfiques pour l’ensemble du continent tout entier.
*Dany K. AYIDA
Expert en gouvernance et démocratie, Fondateur de la firme Africa Label Group S.A. Dany Ayida est Représentant Résident du NDI en RD Congo. Il est également membre de la société civile togolaise. Cette tribune exprime son opinion personnelle sur la situation dans son pays.