Avec la nouvelle entente autour de l’accord du 20 Août et le gouvernement qui en est issu, le Togo tend vers une certaine uniformisation de la classe politique. Celle-ci répond pour les uns à un souci de réalisme politique et pour les autres à une nécessité existentialiste. Pour tous, RPT et opposition partenaire, il est question de faire droit à la prescription d’une certaine communauté internationale qui voudrait que l’on s’unisse autour de l’administration publique nationale, à défaut d’admettre au Togo un jeu démocratique ouvert qui fasse agir les principes et mécanismes de la République. Le rapprochement sera confirmé à l’issue des élections législatives de l’année prochaine autour desquelles se mènent déjà des tractations dont l’issue fera frémir les citoyens démocrates.
Au fur et à mesure que le processus politique se poursuivra, il sera difficile de lire le jeu des protagonistes dans l’arène. Les opposants aujourd’hui au gouvernement – et ceux qui s’apprêtent à y entrer – ont du mal à redéfinir leur identité et faire valoir un message politique clair. La CDPA, le CAR et dans une moindre mesure la CPP et le PDR sont tombés dans le piège de cette cohabitation ruineuse qui emballe tous leurs personnels politiques. Ces partis sont allés à l’aventure sans prévoir l’issue qui les arrange au regard des consultations prochaines. Les deux premiers sont de plus victimes de leur manque de moyen. Ils doivent défendre leur image d’opposants tout en conciliant leur ménage avec le RPT dans l’espoir de préserver la confiance de Faure Gnassingbé. Car immanquablement les élections de l’année prochaine induiront de nouveaux regroupements pour contrôler le futur gouvernement. L’instinct de survie prime désormais sur la quête de démocratie et les partis les plus farouches hier sont prêts à toutes les contorsions pour profiter le plus longtemps possible de l’expérience de gouvernement en cours. Pour l’UFC le risque premier est celui du désagrégement. Les indices sur le terrain montrent que ce parti aura fort à faire pour préserver la prépondérance qu’il revendique au sein de l’opposition. Absente du gouvernement (provisoirement), cette formation est confrontée à des dysfonctionnements internes qui lui feront perdre des soutiens à la fois au pays et dans la diaspora. En tous les cas, l’UFC de 2007 ne sera pas celle de 2003, encore moins celle de 1998.
Le moins qu’on puisse constater aujourd’hui c’est que l’opposition togolaise est au creux de la vague. Nous en parlons au singulier par simplification. Elle souffre du double mal du vicieux accord apolitique et de la naturelle dégénérescence due aux multiples échecs politiques. Dire que cette opposition n’est plus capable de porter le projet de changement serait une lapalissade. Mais en l’affirmant on tombe immédiatement dans une autre inconnue. Celle du vide politique quant à l’alternative constructrice. Il n’existe à ce jour aucun mouvement politique à même de compenser les tares de l’opposition et capitaliser la soif populaire de démocratie et de changement au Togo. Les innombrables petits partis politiques non parties au dialogue passé sont inopérants, marginaux, invisibles et illisibles. La pléthore de mouvements réels ou supposés de libération ne semblent pas non plus suffisamment crédibles pour cela. Quant aux organisations citoyennes du pays et de la diaspora, celles qui ont animé ces dernières années les débats sur la nécessité de la renaissance politique, elles sont prises dans l’étau de l’engrenage politique en raison des volontés et ambitions mal définies de leurs leaders.
L’autre enjeu est la capacité de l’équipe actuelle du RPT autour de Faure Gnassingbé à créer une véritable dynamique de changement démocratique. En clair le régime est-il disposé à accepter l’alternance au pouvoir si les rapports de forces sont en sa défaveur lors des prochaines élections ? On ne voit pas encore suffisamment de signe sans ce sens. Il y a plutôt des manœuvres à la fois de récupération et de perpétuation du statu quo.
Sous d’autres cieux, l’engagement citoyen des démocrates de la diaspora et de la société civile a permis de compenser les insuffisances des classes politiques. Au Togo, il n’est pas question de faire jouer à la société civile le rôle qui n’est pas le sien. Mais ce qui semble évident, c’est qu’il existe dans ce pays parmi les activistes démocrates de nombreuses personnalités capables de redynamiser le mouvement alternatif de changement au Togo. Ce n’est pas un acquis pour autant car la société civile togolaise reste une grande nébuleuse où on voit de tout : de jeunes femmes et hommes dévoués à la cause sociale, de vieux politiciens recalés en quête d’une nouvelle vie et des aventuriers sans emploi luttant pour leur propre survie. Chacun se vêt de l’apparat de démocrate pour l’instant.
Il en est presque de même des diasporas togolaises d’Europe et d’Amérique engluée dans des contradictions qui réduisent leur capacité d’action. Les Togolais de l’extérieur sont divisés aujourd’hui entre trois options : continuer à sponsoriser les oppositions partisanes désormais sans repère ; s’allier au régime de Faure Gnassingbé dans le but d’influencer le « changement de l’intérieur » ou s’engager dans une nouvelle dynamique politique porteur d’avenir.
En dépit de la qualité des personnalités qu’on retrouve dans tous les regroupements des Togolais à l’extérieur, c’est le courage qui semble faire le plus défaut. Beaucoup de compatriotes préfèrent rester dans l’anonymat ou s’engager indifféremment sur tous les terrains. C’est pourquoi en dépit des critiques qui sont permanentes, on n’a vu jusqu’à ce jour aucun projet politique rassembleur et cohérent qui s’impose. Cette situation inquiète à un an d’une déchéance politique prévisible pour l’opposition (traditionnelle) et à trois ans de la fin du mandat de Gnassingbé fils. Peut-on par delà les privilèges immédiats de pouvoir travailler à orienter les Togolais vers une solution durable de changement politique ?
De mon point de vue, cela est possible et passe par l’harmonisation et l’orientation de tous les engagements qui défient le statu quo. Ce sont les ouvriers d’un tel ouvrage qui font défaut.
Dany Ayida