Un grand homme (qui se reconnaîtra) m’a fait l’honneur, dans ses observations sur un article précédent sur ce blog, de relever la question fondamentale des “hommes nouveaux” à qui reviendrait la charge, selon une croyance répandue, de faire bouger positivement les choses dans notre pays. En cette période de remise en cause et de questionnements perpétuels, le sujet mérite grand intérêt. C’est même dans l’air du temps. Tout sentimentalisme mis à part (et toutes “togolaiseries” aussi), il faut admettre que toutes les “solutions possibles” du problème togolais s’étant manifestement révélées sans fondement, il est du devoir de têtes bien pensantes de trouver l’issue qui serait enfin la bonne.
J’aimerais adresser la question d’une évidence qui fait son chemin au sein de notre opinion publique (si l’on peut admettre qu’on en ait une). Il s’impose quasiment que pour sortir le pays des dédales dans lesquelles la classe politique l’a mis, il faille espérer voir émerger des acteurs nouveaux. On voit la chose dans beaucoup de sociétés, y compris chez nous en Afrique. Lorsque la vie politique devient ankylosée (comme c’est le cas au Togo depuis une vingtaine d’années et de plus en plus vers cette fin de troisième mandat de l’héritier du dictateur Eyadema) que le salut provienne de “nouvelles têtes“. Des personnes fraîches dont les idées et les initiatives permettraient de rompre les amarres sans trop faire de dégâts. On parle aussi d’hommes “neufs”, sans abstraction du sexe, puisque les femmes ne sont pas exclues dans la recherche de ces oiseaux rares…
La classe politique actuelle est bornée
Ce n’est peut-être pas sympathique de l’affirmer ainsi, mais il n’y a pas d’autre façon de le dire clairement. Si vous lisez au hasard trois articles sur ce blog (que je tiens depuis le début des années 2000), vous verrez que je me suis souvent attaqué à la classe politique, sous toutes les factures. J’en ai aussi largement parlé dans l’essai politique que j’ai publié en mai 2017: “Togo, le prix de la démocratie, faits et méfaits d’un processus politique raté” (à trouver dans les librairies de Lomé, Cotonou, Ouaga, Abidjan, Dakar… ou à commander sur Amazon.
Depuis 1990, les mêmes personnes dans l’opposition veulent remplacer les autres mêmes individus accrochés au pouvoir. Ils usent des mêmes méthodes et obtiennent les mêmes résultats. D’un côté, certains sont fatigués de ce qu’il est convenu d’appeler “échecs des opposants”. De l’autre, on en a marre de la gouvernance barbare de ceux qui ne peuvent plus rester qu’en faisant du mal.
Mais ne serait-il pas trop facile de croire qu’il suffirait de jeter dehors les apparatchiks des deux camps pour que les choses aillent mieux? Il y a dans les deux groupes des gens dont les attitudes et comportements sont antinomiques avec la voie idéale du salut collectif. Mais comment séparer la bonne graine de l’ivraie, dans cette contrée nôtre ou le paraître est préféré à l’être et où l’intégrité et l’éthique sont si mal partagées? Et puis, il n’y a point de solution correcte au danger de l’anomalie politique en dehors d’une rupture définitive d’avec les hommes et leurs pratiques. Et les torts ne sont pas si partagés. Que cela soit dit et noté. Qu’on n’aille pas colporter que Dany ait écrit que le pouvoir et l’opposition se valent. On se connait!
Lire aussi: Vers une alternative gagnante de changement politique au Togo.
La borne qui limite la classe politique dont je parle se rapporte à l’immobilisme qui, pour des âmes mal famées, a fini par devenir la norme. Ceux qui trouvent leur compte dans ce cafouillage qui a longtemps duré. Ceux qui font du malaise la commodité qui leur offre le confort, pour le corps et l’esprit. Ceux-là qui ont perdu toutes les valeurs et les dogmes qui firent de nos ancêtres des gens bienheureux, par la bravoure qu’ils démontrèrent face à l’adversité. Ils sont prisonniers d’eux-mêmes, de leur lâcheté…
Ce ne sont pas eux qu’il faut sauver. Mais la masse du peuple innocent qui croit, vivote et espère un lendemain meilleur et qui cherche ses guides, ses éclaireurs…
Qui seraient les “nouveaux hommes”?
Il est évident qu’ils ne descendront pas d’une planète lointaine. Ça me fait penser au célèbre essai de mon ami Francis Fukuyama (il fut mon prof pendant un semestre en 2006): “la fin de l’histoire et le dernier homme“. Le dernier homme n’est pas le rescapé du système, mais l’espèce “sapiens” qui est passé par les mailles du dispositif; et dont le modèle de pensée fait loi. Dans notre cas, tout est question de crédibilité. La population a du mal à croire et suivre les mêmes acteurs dont les orientations tout comme les idées n’ont jamais permis de sortir de l’auberge. Elle les a classés dans la catégorie des médiocres, à jeter.
C’est déjà bon qu’on ne parle pas de “nouvel homme” au singulier. Sinon n’importe quel marchant d’illusion se présenterait pour amadouer et attirer le bon peuple avide de nouveauté (je devrait écrire renouveau, mais c’est trop tôt!). Nouveaux hommes parce que ce n’est pas une pièce du véhicule qu’il faut remplacer. Il y a lieu de construire une nouvelle machine qui fonctionne, une qui soit tellement sophistiquée qu’un cerveau ou un bras ne puisse revendiquer de l’avoir façonnée.
Il existe au pays et dans la diaspora du Togo, un grand nombre d’acteurs dont les valeurs intrinsèques et les capacités d’actions sont suffisantes qu’ils puissent œuvrer à la conception de la machine. Le changement est dès lors conçu comme la situation induite par des hommes et des femmes, dont l’approche et l’opérationnalisation des idées font qu’ils apparaissent différents, nouveaux.
Les hommes nouveaux sont à tous les coins de rue. Mais en même temps, ils sont rares, parce qu’ils ne se reconnaissent pas tels avant d’avoir pris conscience de leur pouvoir et d’agir pour la finalisation de l’action qui leur donnerait l’attribut voulu. Actuellement, certains sont dans le doute. Ils n’ont pas encore pris l’entière conscience des implications de leur mission. C’est d’ailleurs une étape indispensable. Cela ressort du remuement et du mûrissement avant l’enfantement.
Renouveler en rénovant pour rassurer
La question que l’on vous pose lorsque vous évoquez le malaise du Togolais qui consiste à signifier que l’on vit mal sans alternance politique, est celle de savoir si l’alternance serait une fin en soi. “Etes-vous si malheureux au Togo parce que vous auriez la même famille à la tête du pays depuis plus d’un demi-siècle”?, m’a-t-on récemment demandé dans une capitale ouest-africaine.
Moins qu’une colle, c’est une simple déduction logique qui ne souffre point d’hypothèse ni de métaphore alambiquée. La gouvernance politique étant ce qu’elle est sous nos tropiques, il ne suffirait pas de remplacer Abalo par Kokou pour que la vie soit plus belle… Je ne vais pas démontrer le contraire, car c’est peine perdue. La vraie question qui se pose concerne l’objectif du changement tel que nous le concevons. D’ailleurs, je me refuse désormais de faire le diagnostic de notre mal. Il est connu. Il n’y a que la thérapie qui intéresse aujourd’hui.
Si nous partons du fait que la classe politique obtuse a échoué, nous ne pourrions dresser le constat définitif de ce fiasco que par son inhabilité à formuler et mettre en oeuvre une offre politique innovante. Autour de Gnassingbé le fils comme dans les rangs de certaines forces d’opposition, on a montré sa limite à faire face efficacement au problème politique tel qu’il se pose avec acuité. Pour s’en rendre à l’évidence, il faut regarder d’un côté comment le régime joue à aggraver les antagonismes et comment de l’autre côté, ses adversaires les plus en vue ne comptent le vaincre qu’en usant de moyens cataclysmiques tout aussi loufoques et mal ficelés.
En définitive, le combat politique à l’horizon 2020 se déroulera sur plusieurs fronts. Certaines batailles ne seront néanmoins que pure diversion; alors que d’autres vont faire s’affronter les avatars d’enjeux majeurs, qui façonneront durablement le renouveau très attendu. L’enfantement (par césarienne selon un ami) du Togo de l’alternance précédera d’un bouleversement profond. Nous ne sommes qu’au début de cette agitation. Renouvellement et rénovation iront de paire, sans se croiser ni se contredire. Et ceux qui ne sont pas capables de réfléchir et renaître succomberont politiquement. C’est écrit. J’ai transcrit, avec toute l’imperfection de ma modeste science.
Dany Ayida
Post-scriptum: ( 23/01/2019, en écho à un partage amical de philosophie politique avec un leader religieux patriote du Togo, un homme de Dieu dont chaque pensée est source intarissable d’inspiration. Et pour la méditation de mes amis politiques et citoyens qui croient: “Il voit qu’il n’y a pas un homme, Il s’étonne de ce que personne n’intercède; Alors son bras lui vient en aide, Et sa justice lui sert d’appui.” (Esaïe 59:16).