Dany AYIDA

Togo, où allons-nous maintenant ?

Je ne sais pas s’il est en Afrique un peuple qui pourrait rivaliser avec nous en matière de maintien de crise politique. Nous en avons créée et entretenue tout au long des trente dernières années, et sommes parvenus en cette année 2020 à un degré d’antagonisme inégalé. Je ne sais pas si chaque acteur ou chaque observateur parviennent à percevoir ainsi la chose ; mais la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui le Togo est pire que celle qui a prévalu à l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir en 2005, à la suite de la disparition de son père. Nous vivons une déchirure, un profond désastre qui, si on n’y prend garde, risque de répandre des séquelles dont les pays mettrait longtemps à se remettre.

Ceux de nos concitoyens qui se sont complus dans cette chose appelée ‘’UNIR’’, ont réussi à caporaliser la République et phagocyter les institutions de l’Etat qu’ils ont transformé en un monstre hideux. Dans une propension inqualifiable à tout vouloir contrôler, Faure Gnassingbé et son parti en sont venus à remettre en cause les bases de l’édification de l’Etat de droit. Ces bases là-mêmes qui ont été mises en place vaille que vaille, et dont les éléments essentiels ont été arrachés de haute lutte par le vaillant peuple togolais. Ce qu’ils ont voulu contrôler, c’étaient les réformes politiques ; objets de maintes négociations depuis 2006. Les transformations requises aux niveaux normatif et institutionnel répondaient en réalité à une double exigence fondamentale : primo, il s’agissait de faire droit à des revendications populaires pour améliorer le cadre et les modalités d’organisation des élections. Secundo, il était question de satisfaire à une exigence des engagements de justice transitionnelle, avec les conclusions de la Commission Vérité Justice Réconciliation (CVJR), qui avait prescrit la mise en œuvre de réformes comme gage ou garantie de non-répétition des bêtises du passé, commises pour la plupart par les tenants de la dictature.

En s’arrogeant une nouvelle constitution taillée sur mesure à l’effet de s’offrir un quatrième mandat, en organisant des élections législatives sans l’opposition légitime et représentative et par effet induit, peupler l’Assemblée nationale de ses courtisans et obligés, et en mettant en place dans des conditions opaques des gouvernements locaux sans réel pouvoir, Faure Gnassingbé a mis la « démocratie togolaise » en coupe réglée. Oui, le compteur à zéro à tuer tout l’élan vers la démocratie qui nous a pris trois bonnes décennies !

Retour à la case départ ?

Ce qui avait fait monter sur la scène politique le patriarche Mgr Philippe Fanoko Kpodzro, (Président de la Conférence Nationale du Togo de 1991) c’est l’échec du pouvoir à s’entendre avec la classe politique sur les conditions minima vers des élections transparentes. L’Evêque Emérite de Lomé avait vainement tenté d’approcher le Chef de l’Etat afin de lui faire part de ses suggestions. Il lui avait adressé des correspondances restées sans réponses. Il avait tout essayé. Au final, il s’est lancé dans la dynamique pour tenter de jouer sur le terrain en tentant de rassembler des forces qui à ses yeux, pourraient porter l’estocade au statu quo… Il est trop tôt pour faire le bilan de l’action de ce jeune homme de 91 ans ; devenu seul acteur clé face à la dictature « qui vacille ».

L’accaparement des prérogatives de l’Etat entre les mains de la seule coterie en place depuis plus de cinq décennies a parachevé la résistance que le RPT avait amorcé vers 1995 en vue de rester à la tête du pays. C’est un déni de l’Etat de droit démocratique auquel on assiste, et non un simple jeu (sportif) au terme duquel ont aurait des vainqueurs et des vaincus. La gouvernance de la triche qui a été mise en place avec l’implication de toute une administration et une grande partie des responsables des forces de défense et de sécurité est un nivellement vers le bas des desiderata pour lesquels le peuple du Togo a versé son sang, depuis le soulèvement populaire du 5 Octobre 1990. Aujourd’hui, tout est gâté !

Comment gouverner un pays qui boude ?

L’échec politique que caractérise le Togo parmi les Nations ouest-africaines n’est pas une affaire uniquement togolaise. Ce pays demeure une anomalie de l’histoire qui se perpétue et qui distille à chaque occasion des situations toujours plus atypiques les unes que les autres. Le Togo, notre pays n’a pas tenu les promesses faites aux pères de notre indépendance il y a 60 ans…

La présidentielle de février 2020 a démontré le niveau de désaffection entre le peuple réel et les dirigeants qui s’imposent à lui. La prévarication gouvernementale qui a généré la « victoire » pour le quatrième mandat ne peut effacer durablement les aspirations que des centaines de milliers de nos compatriotes ont voulu exprimer. En annihilant la voix du peuple, le régime en place a du coup mis fin au rêve des acteurs de l’opposition qui croyaient participer pacifiquement au travers des institutions aux affaires de l’Etat. Qui plus est, le pouvoir du RPT-UNIR a démenti aux yeux de la classe politique de l’opposition, ceux de la société civile et de la diaspora, qu’il n’est point possible d’obtenir au Togo l’alternance ni un quelconque espace du pouvoir d’Etat au moyen des élections. Le pluralisme politique au Togo n’est donc plus qu’une utopie, à laquelle peuvent encore croire quelques laquais en quête des pitances de la gouvernance autocratique. (CQFD)

Alors comment Faure et sa bande comptent-ils gérer cela ? Que feront-ils dans ce désert politique qu’ils ont créé ? Vont-ils définitivement éliminer ou chasser du pays les vrais adversaires de leur système ? Bien sûr, ils s’accommoderont des institutions illégitimes et non-représentatives. Ils trouveront toujours des affamés qui les suivront pour espérer survivre. Mais quelles ambitions politiques, développementales, économiques, les responsables d’une telle situation peuvent porter ?

Ce sont là des questionnements qui nous interpellent. Pas seulement nous qui osons nous dresser face à ce système ; mais tout Togolais et toute Togolaise consciencieux et portant pour ce pays cher la piété que rien ne peut nous enlever. Réfléchissons-y !

Dany K. AYIDA (le 13/7/2020, par acquis de conscience face à de troublantes évidences)