Participant au colloque international en hommage à l’œuvre du leader politique Yawovi Madji Apollinaire Agboyibo, les 3 et 4 Juin à Lomé, j’ai eu l’occasion de recommander qu’un «nouveau pacte de fraternité» soit noué entre les Togolais en vue d’assurer la relance du processus pour la démocratie et la réconciliation nationale. Cette proposition, je l’avais déjà esquissée lors des échanges que j’ai eus avec certains acteurs politiques nationaux entre août et décembre 2020. Le but visé était d’amener ces dernier et surtout les premiers dirigeants du pays à prendre leurs responsabilités pour redonner du souffle à la vie politique.
A propos du colloque
Le colloque auquel nous venons de participer a été un grand “prétexte”. Certes, il a été organisé par des entités qui n’ont pas de prise directe sur la gestion des affaires publiques. Mais l’événement n’a rien d’anodin. Agboyibo a été le bon prétexte pour rassembler des penseurs, des universitaires, des praticiens des questions politiques et sociales du Togo et d’Afrique. L’orchestration a été quasi parfaite. Je n’ai personnellement pas hésité lorsque j’ai été invité, à accepter de participer à la rencontre. Par principe, le débat public à mon sens participe d’une “gastronomie démocratique”. Et j’en raffole! Ce pays a tellement souffert de «crise de la pensée » (cela fait 20 ans que je dis et écris cela) qu’il serait insensé de bouder une rencontre destinée à faire la lumière sur la contribution d’un des acteurs clés, dans le processus démocratique des 30 dernières années. C’est pour cela que j’ai laissé de côté certaines urgences professionnelles pour répondre à cette priorité nationale.
Pour mémoire, lorsque des obsèques nationales avaient été organisées pour honorer l’autre Premier ministre Edem Kodjo les 19-20 août 2020, j’avais pris mon billet d’avion pour y participer également. Mais les deuils n’apportent rien à une République si l’on ne sait utiliser les opportunités que les disparus laissent. Le colloque en hommage à Agboyibo par contre a été initié par une organisation citoyenne: le Centre de Documentation et de Formation sur les Droits de l’Homme (CDFDH). La Commission Nationale des Droits de l’Homme et l’Université de Lomé (deux structures publiques) ont décidé de soutenir la chose. Leur implication a sûrement emporté l’adhésion du gouvernement qui a accordé des facilités à l’organisation du colloque. C’est à son honneur ! Et lorsque j’ai vu ce jeudi le dispositif d’accueil à l’aéroport de Lomé, cela m’a donné l’impression de redevenir un Togolais “normal”…
Me Agboyibo était l’un des meilleurs parmi les responsables politiques qui ont contribué à la mise en place et à l’animation des premières institutions de l’ère démocratique du Togo. Ses multiples facettes permettent d’appréhender les grands moments du processus en question tout en s’interrogeant sur son rôle et celui de ses congénères de la période. C’était émouvant d’entendre des personnes d’expertise et d’expériences différentes parler de cet homme et par effet induit, analyser certains aspects de la politique au Togo et de la marche difficile du pays vers la démocratie.
Le pacte de fraternité en question
A la suite de la communication que j’ai faite au colloque, plusieurs personnes m’ont contacté pour demander que je clarifie mon idée concernant le « pacte de fraternité » que j’ai préconisé. Il s’agit en réalité de créer les conditions pour un réarmement à la fois moral et patriotique, en vue de sortir le Togo du long cycle de conflits politiques, d’angonismes permanents qui inhibent le développement. Cela passe par un bilan sans complaisance des 30 dernières années de démocratisation, l’adoption de nouvelles méthodes de gestion publique, l’ouverture des institutions aux différents courants politiques et sociaux du pays et la mise en place d’un mécanisme de dialogue permanent pour canaliser les divergences naturelles. Une telle démarche transcende les mécanismes traditionnels de justice transitionnelle et de processus politique législatif ou gouvernemental. J’ai élaboré un draft de feuille de route pour opérationnaliser cette proposition, et j’espère avoir l’occasion de l’exposer aux décideurs le moment venu.
Le pouvoir dirigeant UNIR donne l’impression de redouter ses adversaires et fait tout pour les éloigner le plus possible des moyens d’accession au pouvoir. Cela se traduit par plusieurs entorses à l’Etat de droit et aux bonnes moeurs politiques. Les oppositions pour leur part usent de la contestation à tout prix et sur toutes questions, pour se faire entendre et exister. La fracture est béante! Les processus électoraux dans ce pays n’ont plus de sens. La taille du pays, la faiblesse structurelle de l’économie et le passé (et le présent) militariste de l’Etat sont autant de facteurs qui obligent à inventer des solutions nouvelles. La démocratie doit germer au Togo, grâce à toutes les forces présentes, dans le pays et l’extérieur.
Le colloque Agboyibo a servi d’opportunité pour rendre publique cette proposition dont l’approche théorique et la méthodologie ont été esquissées depuis plus d’une année. Je n’hésiterais pas à en discuter avec le Chef de l’Etat s’il veut m’écouter.
J’ai été soulagé de voir que mes concitoyens savent encore se parler comme des gens civilisés. Mais attention, le cadre du colloque se voulait scientifique et les universitaires y faisaient la loi. Ce n’était pas une tribune politique. Et certaines figures politiques qui auraient gagné à aller s’y ressourcer et contribuer aux réflexions n’ont pas pris part à l’événement. J’ignore si elles ont été conviées.
Nul ne sait de quoi demain sera fait. Parce que personne ne sait ce qu’il y a dans la tête de ceux qui dirigent le pays. Le pacte te fraternité comme voie de salut national, par delà la volonté politique finira quand même à s’imposer ; tôt ou tard. De préférence espérons que cela intervienne pendant que nous sommes encore en vie. Sinon, l’histoire se moquerait de nous! Et ceux qui nous survivront feront d’autres colloques pour parler de nos manquements.
Dany Ayida,
Lomé, 5 Juin 2021
(Quand on ne s’aime pas entre nous, on ne peut prétendre aimer le pays et agir pour son développement. Et je ne pense pas qu’un personne ou un groupe ait le monopole du cœur, quand il s’agit de notre attachement à la patrie togolaise.)